Bourdichon |
Longtemps, la plupart des chrétiens ont confondu le règne du Christ, le Royaume dont parlent les évangiles, avec l'extension planétaire du christianisme. Soumission de tous les hommes à l'emprise de la religion. Cela passait par la religion d'État, les pouvoirs civils n'étant que le « bras séculier » de l'autorité ecclésiastique. L'Histoire nous a obligés à revoir cela et à nous demander ce que pouvait bien signifier le thème de la Royauté universelle du Christ. On s'est alors souvenu que Jésus avait dit à Pilate que sa royauté n'était pas de ce monde, qu'il avait refusé de régler les questions d'héritage et prescrit de rendre à César ce qui était à César. On en est venu à penser que la royauté du Christ s'exerce sur les consciences : ceux qui croient en lui adoptent la Loi d'amour qu'il est venu proposer au monde. Jésus répète que personne ne peut venir à lui s'il n'est attiré par le Père. Toujours à Pilate, il dit: «Quiconque est de la vérité écoute ma voix.» C'est l'attraction, l'attrait, de ce qui nous fait vraiment hommes qui fonde le pouvoir du Christ sur nous : l'appel à être qui vient de la création. C'est par un choix libre que chacun le place au-dessus de tout. Fort bien! Mais la foi religieuse peut-elle se réduire à la sphère du privé pris au sens d'individuel? Parce que la Loi du Royaume est l'amour, cela dépasse la conscience individuelle pour passer dans le domaine de la relation, où nous rencontrons le social, l'économique, le politique.
Sur qui s'exerce ce pouvoir ?
Paul répète que le Christ s'est élevé au-dessus de toute «puissance, domination, principautés». On le sait, il désigne par ces termes non seulement les pouvoirs humains mais aussi les puissances astrales, les «armées célestes», c'est-à-dire les lois de la nature. Tout ce qui pèse sur notre liberté et l'entrave. La Royauté du Christ, la soumission à la vérité sont libération. «La vérité vous rendra libres.» Et la vérité, l'homme totalement vrai et parachevé, c'est lui. Il prend le pouvoir sur «tout ce qui nous est contraire». Non que ces « contraires » et contraintes disparaissent de nos vies mais, comme la Croix représentative de tout mal, ils sont asservis à produire leur contraire : la liberté et la vie. Le «monde» nous en veut d'étaler aux yeux de tous cette vérité que l'on préfère ne pas voir. Les disciples du Christ, quand ils le suivent vraiment, sont intolérables à tous ceux qui ont le culte de la puissance, de l'excellence, de l'argent, de la domination. D'une certaine façon, nous sommes la mauvaise conscience du monde dans ses pratiques perverses. Comment ne pas haïr ceux qui prétendent que le plus grand est celui qui sert, que le roi prend la place de l'esclave ; et que c'est par cet abaissement qu'il devient «le Seigneur» (Philippiens 2,5-11)? Tel est le roi que nous célébrons aujourd'hui. Les maîtres de ce monde doivent lui être soumis, c'est-à-dire exercer leur fonction comme un service. Sinon ils ne sont rien.
Où trouver le Roi ?
Il faudrait parler du roi berger, ce chef du troupeau qui est au service de la vie de ses brebis. Du roi juge, pour dire qu'en réalité c'est nous qui nous jugeons et déjugeons quand nous rompons le lien de l'amour. Il faudrait aussi parler du temps de l'instauration du Royaume, pour souligner qu'il n'est ni dans un temps ni dans un espace particuliers mais qu'il les surplombe et les pénètre à travers ceux qui l'accueillent ici et maintenant : «Le Royaume de Dieu est parmi vous» ou «au milieu de vous». Dès que quelque part un être humain se met d'une façon ou d'une autre au service de ses frères, donc dès qu'il se laisse gouverner par l'amour, le Royaume est là. Même s'il n'a pas reçu le Baptême, même s'il n'a jamais entendu parler du Christ, il est enfant de Dieu, fils du Roi. C'est bien ce que nous dit l'évangile du jour: quand tout ce qui est caché viendra au grand jour, ces hommes et ces femmes découvriront dans l'émerveillement d'une joie indicible qu'ils s'étaient mis au service de celui par lequel existe tout ce qui existe. Quant à nous qui avons reçu l'Évangile, nous sommes le peuple des témoins de cette grandiose œuvre de Dieu. Ayant lu ou entendu Matthieu 25, nous savons, nous, que le plus grand prend le visage du plus petit, et même du plus minable. Tous nos frères, même «les publicains et les pécheurs», sont épiphanie, révélation, du visage de Dieu. Effigie royale.