Fra Angelico : Présentation de Jésus au Temple, détail |
Nous savons que le parcours dramatique de
Job a abouti à une étonnante profession de foi : « Je ne te
connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » Simon atteint le même but lorsqu’il rencontre Jésus au temple et qu’il
s’exclame : « mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 30). Le passage
se transforme donc dans l’histoire d’une attente et d’une rencontre surprenante
[…].
Siméon, comme la figure successive d’Anne,
appartient au peuple des anawim, les « pauvres du Seigneur » ; en fait,
il est décrit comme « juste et pieux ». Sa caractéristique
fondamentale est donc sa foi profonde, sa confiance, son abandon à Dieu. Il est
semblable à Joseph d’Arimathie qui est décrit comme « un homme droit et
juste » et qui accueillera entre ses bras le corps mort du
Christ. Siméon, lui, prend dans ses bras l’enfant Jésus et l’art des icones le
représentera comme le Theodòchos, « celui qui accueille Dieu ». Siméon est
aussi l’homme de l’attente, un peu comme tous les personnages de l’évangile de
l’enfance : « il attendait la consolation d’Israël » comme tous les fidèles du Seigneur qui attendaient la délivrance de
Jérusalem. On dit aussi de Joseph d’Arimathie qu’il
« attendait le Royaume de Dieu » (Lc 23, 50).
[…] Homme
« pauvre », homme de l’attente, homme de l’Esprit : c’est en
raison de ces dons que Siméon est aussi prophète au sens biblique de
connaisseur du mystère de Dieu et révélateur de sa parole. Sa prophétie
s’exprime dans un cantique et dans un double oracle. Le cantique est le Nunc dimittis, un
hymne très bref, presque jaculatoire, non pas de résignation mais de confiance,
prononcé par un homme qui sent arrivé pour lui un déclin qui préludera à une
aube à venir et il n’a donc pas peur. C’est pour cette grâce sereine et apaisée
que depuis le Vème siècle le psaume de Siméon est devenu la prière du soir, le
cantique des Complies. Et même, certains sont allés jusqu’à faire l’hypothèse
que c’était le chant funèbre pour un fidèle juste, proclamé par l’assemblée
chrétienne dans l’esprit du patriarche Jacob : « Pour lors, je puis
mourir, après que j’ai vu ton visage » (Gn 46, 30). […].
Mais le cantique de Siméon n’est pas un
adieu mélancolique parce que la charge confiée est désormais conclue, c’est au
contraire une salutation joyeuse à la Parole de Dieu qui s’accomplit
maintenant. Ses sentiments sont ceux de la béatitude de Luc : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous dis que
beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont
pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu ! ». Un
chant de foi et d’espérance, certes, non pas un rêve mélancolique et c’est cela
le sens de l’existence chrétienne.
[…] Le Nunc dimittis est
aussi le chant du salut universel. Dans des phrases telles
« salut que tu as préparé à la face de tous les peuples », se concentre tout le cheminement de l’Ancien Testament qui, à partir de
l’élection d’Israël, est parvenu à pressentir l’alliance universelle pour
laquelle à Jérusalem tous les peuples pourraient se retrouver comme
citoyens : « Tous les confins de la terre
ont vu le salut de notre Dieu ». A son serviteur messianique,
le Seigneur dit : « Je fais de toi la lumière des nations pour que
mon salut atteigne aux extrémités de la terre » . « Alors
la gloire du Seigneur se révélera et toute chair, d’un coup, la verra ». « Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre
Dieu », « Des nations nombreuses s’attacheront au Seigneur
en ce jour-là : elles seront pour lui un peuple » .
Fra Angelico, "Présentation de Jésus au Temple" |
[…] Siméon prononce
ensuite un double oracle qui est presque la partie obscure du
cantique de salut du Nunc
dimittis. Salut et jugement, acceptation et refus,
foi et incrédulité sont quasiment un diptyque qui assume les multiples
événements de l’histoire. Le Christ est le lien de ce diptyque parce que le choix
se porte sur lui. La première prophétie de Siméon est un oracle de
« division » : « cet enfant doit amener la chute et le
relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à
la contradiction, afin que se révèlent les pensées intimes de bien des
cœurs ». Un jour Jésus dira : « Pensez-vous que je sois apparu
pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien la
division. Désormais en effet, dans une maison de cinq personnes, on sera
divisé, trois contre deux et deux contre trois :on sera divisé, père contre
fils et fils contre père, mère contre sa fille et fille contre sa mère »
(Lc 12, 53). L’oracle de Siméon hérite du symbolisme de la pierre d’achoppement
et de la pierre angulaire appliquée, dans l’Ancien Testament, à Dieu
lui-même : « il sera… un rocher qui fait tomber, une pierre
d’achoppement pour les deux maisons d’Israël »; « La
pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle »...
Gianfranco Rivasi