Dans le berceau rose, la petite
fille ouvre ses yeux bleus. Elle est grave et son silence semble chargé de
pensées. Il y a trois semaines, déjà, qu’elle est entrée dans l’histoire du
monde dont sa vie doit être un moment. Le soir descend sur la ville, lentement
aspiré par le jour qui meurt. La mère tire les rideaux, gardiens de l’intimité,
en éveillant les lampes dont la clarté discrète se confond avec l’ombre qu’elle
anime. Le feu se recueille dans l’âtre qui rougeoie, et, sur le manteau de la cheminée,
un vieux bréviaire choral offre au regard le vermillon doré de ses lettres
capitales.
Je m’approche et je lis : « Rex
pacificus magnificatus est, cujus desiderat universa terra » – « Le Roi qui
donne la Paix a manifesté sa gloire, la terre entière désire contempler son
Visage. » C’est la première antienne de Noël, qui chante la magnificence divine
de la crèche où Marie adore son enfant. Le salut du monde repose dans cet être
fragile que ses parents devront bientôt soustraire à la fureur d’Hérode. Car le
salut du monde est de retrouver le sens de l’amour et rien ne l’éveille plus
sûrement que la majesté sans défense qui cherche un refuge dans notre
tendresse.
Est-ce vous, Seigneur, dans la
vie fragile de ce nouveau-né ?
Je me retourne vers le berceau. La petite fille s’est endormie. Mais son âme nous regarde à travers la chair diaphane, vêtue de la lumière intérieure dont elle est le reposoir. Nous retenons notre souffle pour écouter la voix silencieuse qui nous parle en ce verbe vivant :
« Est-ce vous, Seigneur ? »
La question se pose à peine,
tellement il est clair que le mystère qui nous tient agenouillés devant cette
enfant est Dieu même, dont son âme est le sanctuaire. La mère se lève et, sans
bruit, prend dans ses bras le petit être qui respire, blotti contre son cœur,
la paix divine de son sommeil.
C’est son bréviaire de maman, son
plus beau livre d’heures, son offrande silencieuse, et son vivant Noël. Le
Christ va renaître, cette nuit, dans le mystère toujours nouveau de la divine
liturgie. Les cloches et la neige épandent sur les toits, leurs nocturnes
sonores et veloutés. Mais quel Te Deum d’action de grâces peut se comparer à
cette petite fille que sa mère, à cette heure, devant le vieil antiphonaire,
consacre à Dieu, au Roi source de paix, dont la terre entière aspire à
contempler le visage.
Et je me souviens de la parole
qu’elle m’avait dite durant les mois de mon attente, dans la période recluse de
son Avent : « J’espère qu’à Noël prochain, Dieu me donnera un petit enfant que
je puisse lui offrir pour le remercier de s’être fait enfant ! »
Notre vie peut toujours
recommencer
Notre vie peut toujours recommencer… Tout est sauvé à chaque instant si Dieu est sauvé. Noël peut encore être notre naissance, car tout ce qu’il y a d’humain dans l’homme, et par suite, d’existence réelle, est générosité, comme le dialogue avec Dieu… est échange de générosité… En Lui, tout se renoue…
Noël est, en un sens,
l’offertoire de la Croix, puisque c’est Dieu livré dans sa fragilité la plus
désarmée. Cela demeure comme l’étoile dans notre nuit. Au-delà de tous nos
déchirements et de toutes nos impuissances, il y a cet appel irrésistible à
notre générosité. C’est par-là que notre vie peut toujours recommencer et
obtenir sa justification. Tout est sauvé à chaque instant si Dieu est sauvé.
Sous cet aspect, Noël peut encore être notre naissance, car tout ce qu’il y a
d’humain dans l’homme, et, par suite, d’existence réelle, est générosité, comme
le dialogue avec Dieu, où l’homme et Dieu se trouvent à la fois, est échange de
générosité. Nous pouvons donc encore rendre grâce, sans rien forcer, en nous,
pour cette lumière qui est notre unique espérance, comme elle est le seul
fondement de notre dignité, ferment du don que nous avons à être. Dieu reste,
qui est la respiration de notre âme. En lui, tout se renoue, tous les liens se
reforment, et toutes les présences se joignent et deviennent réelles.
Je me retourne vers le berceau. La petite fille s’est endormie. Mais son âme nous regarde à travers la chair diaphane, vêtue de la lumière intérieure dont elle est le reposoir. Nous retenons notre souffle pour écouter la voix silencieuse qui nous parle en ce verbe vivant :
Notre vie peut toujours recommencer… Tout est sauvé à chaque instant si Dieu est sauvé. Noël peut encore être notre naissance, car tout ce qu’il y a d’humain dans l’homme, et par suite, d’existence réelle, est générosité, comme le dialogue avec Dieu… est échange de générosité… En Lui, tout se renoue…
Maurice Zundel
Retranscription d’une page isolée et incomplète sur Noël
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