Il y avait là un
jeune Anglais catholique qui m'a donné pour la première fois l'idée d'une vertu
surnaturelle des sacrements, par l'éclat véritablement angélique dont il
paraissait avoir été revêtu après avoir communié. Le hasard -car j'aime
toujours mieux dire hasard que Providence- a fait de lui, pour moi, vraiment un
messager. Car il m'a fait connaître l'existence de ces poètes anglais du
XVIIème siècle qu'on nomme métaphysiques. Plus tard en les lisant, j'y ai
découvert le poème dont je vous ai lu une traduction malheureusement bien
insuffisante, celui qui est intitulé Amour (*). Je l'ai appris par cœur. Souvent,
au moment culminant des crises violentes de maux de tête, je me suis exercée à
le réciter en y appliquant toute mon attention et en adhérant de toute mon âme
à la tendresse qu'il renferme. Je croyais le réciter seulement comme un beau
poème, mais à mon insu cette récitation avait la vertu d'une prière.
C'est
au cours d'une de ces récitations que, comme je vous l'ai écrit, le Christ
lui-même est descendu et m'a prise.
Voici le texte de ce
poème dans une traduction qu'on a bien voulu me faire :
Simone Weil, "Attente de Dieu"
* AMOUR
L'Amour
m'accueillit ; pourtant mon âme recula
Coupable
de poussière et de péché.
Mais
l'Amour clairvoyant, me voyant hésiter
Dès ma
première entrée,
Se
rapprocha, demandant doucement
S'il
me manquait quelque chose.
"Un
invité, répondis-je, digne d'être ici."
L'Amour
dit : "Tu seras lui."
Moi,
le méchant, l'ingrat ? Ah mon aimé
L'Amour
prit ma main et répondit en souriant :
"Qui
a fait ces yeux, sinon moi ?
— C'est
vrai Seigneur, mais je les ai souillés ; que ma honte aille où elle
mérite.
— Et
ne sais-tu pas, dit l'Amour, qui a pris sur lui le blâme ?
— Mon
aimé, alors je servirai.
— Il
faut t'asseoir, dit l'Amour, et goûter à mes mets. "
Ainsi
je m'assis et je mangeai.
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